dimanche 29 décembre 2013


Le dernier lapon

Olivier Truc
Points Seuil, 2013


Prix Quais du polar 2013
Prix Mystère de la critique 2013

☀ 


Voici un roman totalement dépaysant, qui vous propulsera dans le Grand Nord ! 


Premier roman d’un journaliste français correspondant permanent en Suède, ce polar a le mérite de nous faire voyager dans une région du monde plutôt méconnue : la Laponie. Bien sûr, lorsqu’on évoque ce nom, l’imagination va bon train. Surgissent d’immenses étendues neigeuses, des troupeaux de rennes, des aurores boréales... Mais que sait-on vraiment de ce qui se cache derrière ces images d’Epinal ?

C’est ce que s’attache à nous faire découvrir Olivier Truc, au travers d’une intrigue policière mêlant le meurtre d’un éleveur de rennes et le vol d’un précieux tambour traditionnel de chaman. Tout au long de quelque 450 pages, nous sommes conviés à suivre les pas d’un policier sami - autrement dit lapon - nommé Klemet et de sa jeune coéquipière Nina, dans les steppes enneigées.

L’histoire et les conditions d’existence d’un peuple sont ainsi retracées : on apprend tout des convoitises suscitées par les immenses richesses minières de ce territoire, qui ont amené les Suédois à coloniser les Lapons. Cela ne s’est évidemment pas fait sans douleur, et l’on apprend aussi qu’il a pu y avoir des luttes entre autonomistes samis et partis d’extrême-droite. L’auteur met en lumière les tensions existant entre les tenants d’une certaine tradition et ceux qui souhaitent profiter des apports modernes. Il dépeint également avec force détails les rites et le folklore de ce peuple vivant dans des conditions extrêmes. C’est là toute la force de ce roman, très documenté. Olivier Truc nous donne à entendre les joïk, les chants traditionnels, il nous fait entrer sous les gumpi, l’habitat des Samis... Il excelle à peindre le tableau vivant du Grand Nord.

Il y a quelques morceaux de bravoure, comme lorsque les habitants guettent le retour du soleil, apparaissant pour quelques minutes à peine, après les interminables semaines de nuit polaire. 

Tel est le cadre, fort instructif et dépaysant, de ce roman.
En ce qui concerne l’enquête policière, j’avoue ne pas avoir été totalement captivée. Le rythme est assez lent, les éléments peinent à se mettre en place et j’avoue avoir mis un certain temps à rentrer pleinement dans l’histoire. Il me semble que le roman aurait gagné à être un peu plus resserré. En bref, j’ai connu des polars plus haletants.
Toutefois, il ne s’agit que de mon avis personnel, et je me dois de faire écho aux nombreux lecteurs qui ont apprécié le sel de cette intrigue et qui se sont exprimés sur la Toile, sur le site de Babelio ou ailleurs. 
Alors, si vous êtes tenté par un petit tour en terre polaire, à vous de vous faire votre propre idée ! 

samedi 21 décembre 2013

La délégation norvégienne


Hugo Boris
Pocket, 2009



Ce livre surprenant, à l'atmosphère énigmatique, vous entraînera dans une étrange aventure littéraire.

Après la découverte de Trois grands fauves et d’un style de haute volée, je m’étais promis de lire d’autres œuvres d’Hugo Boris. C’est chose faite avec La délégation norvégienne, son deuxième roman, initialement publié en 2007.

Or, je reste un peu perplexe, même plusieurs jours après en avoir achevé la lecture.
Tout d’abord, je préciserais que je ne suis pas entrée dans ce texte aussi immédiatement que dans le précédent. Loin d’avoir la fulgurance des Trois grands fauves, ce roman est empreint de mystère, d’étrangeté. Le lecteur ne sait pas où se déroule l’action, le personnage principal ne lui est pas présenté (et les personnages secondaires ne le sont pas davantage). On est totalement privé de repères, certains protagonistes parlent français, d’autres allemand, d’autres enfin une langue scandinave... Tout ce que l’on finit par comprendre, c’est qu’ils se sont rassemblés  pour partager, le temps d’un court séjour, leur passion commune pour la chasse. Mais on se retrouve finalement au centre d’un huis-clos qui va devenir de plus en plus oppressant.  

J’avoue n’avoir pas été au premier abord séduite par le sujet, ni par le héros, qui ne suscite pas d’emblée la sympathie. Pourtant, à mesure que j’avançais dans le roman, j’étais happée par l’atmosphère singulière qui s’en dégageait.

Il est particulièrement ardu de parler de ce roman sans en révéler le ressort, dans la mesure où l’auteur opère peu à peu une mise en abîme, sur laquelle il serait vraiment dommage de lever le voile.
Ce que l’on peut simplement indiquer, c’est que le lecteur devient progressivement partie prenante de l’intrigue et qu’il est invité à jouer un rôle actif.
La démarche de l’auteur apparaît donc comme assez originale et interroge sur la place du lecteur dans une oeuvre littéraire. La question est, finalement, un texte n’a-t-il d’existence que s’il est lu ? 

Une expérience littéraire intéressante, donc, et une ouverture sur une réflexion qui ne l’est pas moins, un style élégant, mais un livre qui n’a pas encore la beauté et la puissance qui caractérisent selon moi la dernière œuvre en date d’Hugo Boris. 

Pour conclure, je soulignerais ce qui fait pour moi l’une des qualités d’un auteur: la capacité à se renouveler, à produire des textes différents les uns des autres, sans se cantonner à un style ou un univers particulier. Là encore, Hugo Boris se distingue. Incontestablement un auteur à suivre.

dimanche 8 décembre 2013

Moscou-Babylone


Owen Matthews

Les Escales, 2013


Roman traduit de l'anglais par Karine Reignier-Guerre



Un roman qui se lit d'une traite, nous proposant une vision décadante mais non dénuée d'humour du Moscou de l'ère post-communiste.


Le titre de ce roman est sans équivoque. L’auteur nous convie à un voyage dans la capitale russe, à un moment particulier de son développement : nous sommes dans les années 90, après la Glasnost, alors que Gorbatchev a cédé la place à Eltsine et qu’une nouvelle caste est en train de s’emparer du pouvoir. A l’austérité de l’ère communiste a succédé une ère que l’on qualifierait aujourd’hui de «bling-bling» où les signes extérieurs de richesse font l’objet d’une surenchère effrénée.  

C’est dans ce cadre que vient s’introduire Roman Lambert, jeune citoyen britannique tout juste diplômé d’Oxford, russe par sa mère, qui, las de sa vie londonienne sans éclat, s’envole pour Moscou, à la recherche d’une vie qu’il imagine plus flamboyante.

Au début du roman, les images se superposent entre une Russie éternelle, celle du narrateur, qui a lu Tolstoï et Dostoïevski, et le pays qu’il découvre, dans lequel des hommes ayant rapidement fait fortune se livrent à des soirées orgiaques et ne semblent  connaître ni limite ni morale. Moscou est alors une sorte d’eldorado où se mêlent des hommes de tous horizons, de toutes nationalités.

Roman raconte son irrésistible ascension. Plus ou moins fasciné par les bad boys qu’il côtoie, il se rêve comme eux, tout en ayant conscience qu’il lui est moralement impossible d’y parvenir. De par son origine étrangère, il vit un décalage entre ce qu’il est, ce qu’il  s’était imaginé et ce qu’il rencontre.
Et c’est là la force de ce roman. Comme d’autres avant lui, - et c’est aussi le cas notamment de Patrick McGuinness dans Les cent derniers jours
- Owen Matthews use de ce procédé ultra-classique, mais ô combien efficace, qui consiste à sortir un personnage de son milieu pour le propulser dans un autre, extrêmement différent. Ainsi peuvent être mis en lumière certains caractères d’un pays et d’un peuple, émanant d’une tradition, d’une culture, de contraintes géographiques ou climatiques, dans un tableau mêlant à la fois humour et tendresse.

Ce qui est particulièrement intéressant ici c’est que le dialogue entre deux cultures se double de celui entre un pays rêvé, la Russie de l’époque tsariste, et la Russie post-communiste. Pris en étau, Roman a du mal à trouver sa place. Il perd ses propres repères et, dans une réminiscence sans doute des héros dostoievskiens, en vient à accomplir un meurtre qui le dépasse, dont il ne serait que l’instrument d’une justice qu’il ne contrôle pas.

Avec talent, Owen Matthews nous offre le portrait d’une ville qu’à n’en pas douter il aime profondément, en dépit de ses travers et de ses excès. Dans une sorte de postface, il prend soin toutefois de nous rappeler qu’il s’agit d’un roman, et donc d’une vision personnelle qui ne saurait prétendre à l’universalité.
En tout cas, un roman réussi !


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samedi 30 novembre 2013

Quand nous étions révolutionnaires

Roberto Ampuero

JC Lattès, 2013


Roman traduit de l'espagnol par Anne Plantagenet


☀ 

Avec ce texte, l'auteur nous livre un témoignage sincère, loin de toute caricature, sur la perte des illusions révolutionnaires.


Ce livre nous emmène tout droit à Cuba, au début des années 1970. Le héros de ce roman largement autobiographique est un jeune Chilien âgé d’une vingtaine d’années. Militant communiste, il se voit contraint de fuir son pays au lendemain du putsch de Pinochet. Animé par l’ardent désir de voir le socialisme triompher en Amérique latine, il se réfugie en RDA où il souhaite étudier.
C’est à Leipzig, à la Karl Marx Universität qu’il lit Marx et Lénine, et c’est là surtout qu’il tombe amoureux d’une certaine Margarita, la fille du commandant Ulises Cienfuegos, l’un des compagnons de route de Fidel Castro. Voilà comment il se retrouve à La Havane, le coeur gonflé d’amour et la tête pleine d’un idéal révolutionnaire.

Hélas, on s’en doute, ce qui nous est conté, c’est la façon dont, confronté à la réalité de la vie des Cubains - avec son lot de manque de nourriture, de privation de liberté, de censure - ce Chilien va perdre peu à peu toutes ses illusions.

Ce qui est particulièrement intéressant dans ce livre, c’est que l’on suit le cheminement  psychologique d’un homme. Il est au départ animé d’une telle foi en la Révolution et en l’idéal socialiste qu’en dépit de ce qu’il découvre en RDA, puis à Cuba, il peine à accepter cette réalité. Il cherche longtemps des explications, des justifications pour ne pas voir s’écrouler ce qui donne un sens à sa vie. Ainsi, si le régime de la RDA n’est pas bénéfique pour son peuple, c’est parce que celui-ci n’en a pas été l’acteur, mais qu’il lui a été imposé par les Russes ; l’intransigeance de Fidèle Castro trouve quant à elle sa raison d’être dans le combat sans merci que se livrent le socialisme et les dictatures d’extrême-droite souvent soutenues par les Américains. 
Mais la faim, la privation de liberté, les privilèges accordés à une caste dirigeante finiront par avoir raison de ces utopies.  

Ce livre est convaincant car il ne s’agit pas d’une condamnation d’emblée du régime, mais  avant tout d’une tranche de vie qui s’ancre dans un contexte historique. Les personnages jouent leur vie et l’on comprend comment ont pu naître certains espoirs. Enfin, comme le mentionne la quatrième de couverture, tout cela est exprimé « avec esprit, entre mélancolie et humour ».


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samedi 16 novembre 2013


Ainsi résonne l’écho infini des montagnes

Khaled Hosseini

Belfond 2013


Traduit de l'américain par Valérie Bourgeois
☀ ☀


Installez-vous confortablement, éteignez votre téléphone et laissez-vous emporter par cet émouvant récit. 


Si vous aimez que l’on vous raconte une belle histoire ; si vous aimez les récits au souffle épique qui vous font voyager d’un continent à un autre ; si vous aimez accompagner des personnages de l’aube de leur existence jusqu’à leurs derniers jours ; si vous aimez les héros faits de chair et de sang dont les destinées s’entremêlent, alors vous adorerez ce roman !

Nous sommes en Afghanistan, dans un petit village, au début des années 50 ; une fillette de 3 ans dénommée Pari et son frère Abdullah, 10 ans, vivent dans un profond dénuement avec leur père et sa seconde épouse - leur mère étant morte en couches -, ainsi que leur jeune demi-frère. Mais la relation qui unit Pari et Abdullah les comble d’un bonheur que rien ne saurait altérer... si ce n’est de se voir un jour séparés.
Vous l’aurez deviné, c’est précisément ce qui arrive. Mais n’ayez crainte, je ne vous déflore rien, puisque cet événement intervient dès les premières pages du livre !
C’est cette petite Pari l’héroïne du roman que l’on va suivre, à laquelle on s’attache immédiatement et dont on espère qu’elle parviendra un jour à renouer avec ses origines.   

Le livre s’ouvre sur une fable dont l’écho va résonner tout au long du roman : un père se voit contraint de désigner l’un de ses enfants pour l’offrir à un ogre, afin que celui-ci ne massacre pas l’ensemble de sa famille. Le sort désigne l’enfant qu’il chérit le plus. Inconsolable, ce père finit par partir à la recherche du monstre pour se faire justice. Parvenu dans sa forteresse, il découvre que son fils y coule des jours heureux en compagnie de tous les autres enfants sacrifiés avant lui. L’ogre lui propose alors le choix suivant : soit il rentre chez lui avec son fils, qui retrouvera alors l’existence misérable et sans espoir qui devait être la sienne, soit il repart seul, permettant à son fils de se tourner vers un avenir plein de promesses. Pour la deuxième fois, cet homme est amené à prendre une décision qui, dans tous les cas, lui infligera de la douleur.

C’est un dilemme comparable que connaîtront tour à tour les différents protagonistes du roman dont les chemins vont se croiser. 
Quelle voie emprunter pour construire sa vie ? Est-il nécessaire de sacrifier le présent pour garantir l’avenir, au risque de provoquer des blessures intimes irréparables ? Quelle est la nature du lien qui unit parents et enfants ? Comment se manifeste l’amour parental : dans la volonté de retenir ses enfants auprès de soi, dans un environnement soigneusement défini, ou en les encourageant au contraire à trouver leur propre voie ? Les enfants peuvent-ils - et doivent-ils -  combler les failles de leurs parents ? Quel lien entretenir avec ses racines ? Jusqu’à quel point a-t-on besoin de les connaître ? Nous aident-elles à nous construire ou, au contraire, nous enferment-elles?

Tous ces thèmes sont abordés avec une immense sensibilité, au travers de personnages  extrêmement attachants auxquels Hosseini sait donner de l’épaisseur.

Si la structure narrative est assez classique, avec des personnages dont les chemins se croisent et qui assument à tour de rôle la prise en charge du récit pour y apporter un éclairage différent, Hosseini est un orfèvre en la matière. La construction est impeccable et l’émotion toujours présente. Le cœur du lecteur bat au rythme de celui des personnages  et se serre en plus d’une occasion. 

A n’en pas douter, ce magnifique récit vous transportera.
A l’arrivée de l’hiver, voici une excellente raison de rester bien au chaud à la maison !


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vendredi 8 novembre 2013


Les cent derniers jours

Patrick McGuinness

Grasset, 2013


Traduit de l'anglais par Karine Lalechère

Prix du Premier roman étranger 2013




Ce roman nous entraîne dans un monde aux allures totalement surréalistes qui, malgré tout ce que l'on sait des régimes de l'ex-bloc de l'Est, ne cesse de nous éberluer.  


Au moment de parler de ce roman, il m’apparaît bien difficile de le caractériser en quelques mots. Mais si je devais le faire, alors je dirais sans doute qu’il s’agit avant tout du portrait d’une ville, une ville meurtrie, martyrisée par un régime d’une totale incurie.
C’est une plongée dans un Bucarest désolé qui nous est proposée, un voyage de quelque cent jours qui précédèrent la chute de Ceausescu.

Les premières pages de ce livre sont une véritable réussite. L’auteur installe d’emblée une atmosphère. Bucarest y est vu à travers les yeux d’un jeune Anglais fraîchement débarqué pour enseigner sa langue, après avoir décroché à l’université un poste pour lequel il n’a ni postulé ni pris la peine de se rendre à l’entretien d’embauche. Le décor est planté ! Bienvenu dans le règne de l’arbitraire et de l’absurde !

Dès son arrivée, le jeune homme se lie avec un certain Léo, véritable as de la débrouille, trafiquant en tout genre au marché noir, qui va lui servir de guide dans cette ville aux allures fantasmagoriques. 
Léo a une marotte : il écrit un livre sur la capitale. Plus celle-ci s’efface sous les coups de   boutoir des pelleteuses déployées sous l’impulsion du Camarade pressé de raser le passé pour construire un «avenir radieux», plus Léo s’efforce d’en consigner le souvenir dans ses cahiers. Mais la tâche est rude et Léo a du mal à suivre: «En huit ans, il avait vu démolir près d’un quart de la vieille ville». 
A suivre les déambulations des deux personnages, on découvre la photo d’une cité où à un lacis de ruelles tortueuses et à de vénérables églises se superposent de larges avenues rectilignes aux noms évocateurs, telle l’avenue de la Victoire-du-Socialisme, et de sordides tours d’habitation.
Evidemment, on découvre les queues à n’en plus finir devant des magasins quasi-vides, ou ne vendant qu’un seul article dont les gens prétendant les acheter ne connaissent même pas la nature. Mais tout est bon à prendre, car pourra toujours être revendu au marché noir... 
On pénètre dans des hôpitaux sombres et sous-équipés, où exercent des médecins désabusés.
Certaines scènes ubuesques pourraient prêter à rire, si elles ne révélaient le douloureux quotidien de tout une population : les habitants d’un quartier profitant du retour du courant pour prendre leur douche au milieu de la nuit ; les rendez-vous manqués parce que les lieux ont tellement changé que personne ne connaît la rue où l’on veut se rendre... 
Sans parler des dogmes proprement hallucinants qui régissent jusqu’à la part la plus intime de la vie des individus.

Au terme de cette immersion, comme le laisse présager le titre, on assiste à la chute du régime, au «procès» et à l’exécution du couple Ceausescu. C’est assez troublant, pour qui se souvient de ces images diffusées en boucle, de revoir à froid, par le biais de la littérature, cet épisode qui traduisait à lui seul le profond bouleversement qu’étaient en train de connaître les équilibres mondiaux.

L’auteur, Patrick McGuinness, traduit parfaitement la perte de tous les repères, tant matériels que psychologiques, qu’ont vécu les populations ayant subi le joug des régimes communistes. Il évoque sans pathos, voire avec un sens de la formule non dénué d’humour, la méfiance généralisée, la pénurie de tous les biens de consommation, la surveillance constante et omniprésente, la résignation, l’ennui... Tout cela est extrêmement bien rendu.
Toutefois, si McGuinness insiste, à raison, sur l’incommensurable absurdité de ce système, il en oublie de rendre aussi sa cruauté. L’accent est mis surtout sur l’arbitraire, peu sur le régime de terreur sur lequel était assis le pouvoir. A lire ce roman, on perçoit plutôt faiblement la souffrance physique de ceux qui ont subi la torture - à laquelle il n’est fait allusion que dans les dernières pages. Quant à la douleur de ceux qui ont vu disparaître des êtres chers et à l’angoisse permanente d’être arrêté, elles ne paraissent pas aussi prégnantes qu’elles ont pourtant dû l’être. Il me semble que le roman aurait gagné en puissance s’il avait davantage insisté sur ces points.
Peut-être est-ce la raison pour laquelle ce roman m’a paru un peu long. Après un démarrage très convaincant, il s’essouffle un peu avant de se clore sur un final réussi. Mais à aucun moment je n’ai voulu l’abandonner et, en dépit de ces réserves, j’ai apprécié ce tableau de la capitale roumaine et de ses habitants. J’ai beaucoup aimé également le style de l’auteur qui, avec de surprenants rapprochements, l’emploi de formules enlevées et des dialogues bien menés, sert parfaitement le récit. 

Ah ! Un bémol, indépendant de la volonté de l’auteur : dommage que le livre ait été trop rapidement relu. Coquilles et mots oubliés ne servent jamais un texte ! A bon entendeur...


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dimanche 27 octobre 2013


La garçonnière

Hélène Grémillon

Flammarion, 2013




Ce roman joue avec le lecteur, lui fait emprunter plusieurs voies avant de l'entraîner là où il ne s'attendait pas à aller...


Buenos Aires, 1987.
Un psychiatre rentre chez lui et découvre le cadavre de sa femme Lisandra, défenestrée.
Tandis que les Argentins portent les stigmates de la dictature, qui a pris fin quatre ans plus tôt, le docteur Vittorio Puig est arrêté et inculpé pour le meurtre de son épouse. Eva Maria, l’une de ses patientes, est seule à croire en son innocence. Elle va mener l’enquête pour tenter de découvrir le véritable assassin.

A force d’obstination, Eva Maria parvient à lever peu à peu le voile sur la personnalité de Lisandra, qui n’était peut-être pas si sage qu’il y paraissait au premier abord. Le docteur Puig aurait-il eu finalement des raisons de la supprimer ?

Hélène Grémillon mène son récit tambour battant. Elle nous entraîne sur différentes pistes, révélant en chemin les plaies encore à vif d’un peuple argentin traumatisé par la dictature. Le personnage d’Eva Maria en particulier est touchant. Elle ne s’est jamais remise de la disparition de sa fille de 15 ans, dans des conditions qu’on ne lui a même pas permis de connaître. Son enquête ravive la douleur qu’elle tente pourtant jour après jour de diluer dans l’alcool.

Ce livre se lit d’une traite, et les retournements de situation ne cessent de surprendre le lecteur, jusqu’au dénouement qui donne à mon avis tout son sens à l’incipit qui est repris en quatrième de couverture : les êtres humains sont les mêmes partout. Cette histoire aurait pu arriver n’importe où, n’importe quand. C'est peut-être cela qui peut désarçonner le lecteur et qui m'a, personnellement en tout cas, décontenancée : Hélène Grémillon m'a emmenée sur un terrain auquel je ne m'attendais pas du tout. A ce jour, je n'arrive toujours pas à savoir si c'est un tour de force ou une duperie... 
Quoi qu'il en soit, je me suis très facilement laissé embarquer par son récit, et ça c'est déjà une excellente chose !




vendredi 25 octobre 2013


Une matière inflammable


Marc Weitzmann

Stock, 2013






Un texte sans grâce et sans intérêt qu'il vaut mieux éviter.


Ayant reçu ce roman directement des Editions Stock dans le cadre d’une opération menée par Babelio, j’étais pleine de bonnes dispositions à son égard et souhaitais vivement l’apprécier pour pouvoir en faire une bonne critique... Hélas, je me suis bien vite aperçue du mauvais choix que j’avais fait et, n’était l’engagement que j’avais pris d’en faire une critique sur mon site, j’aurais rapidement interrompu ma lecture tant je m’ennuyais et avais le sentiment de perdre mon temps.

Je pense tout d’abord que ma curiosité pour ce livre est née d’un malentendu : un article lu ici ou là, sans doute trop rapidement - je parcours toujours un peu en diagonale les critiques de livres que je n’ai pas encore lus de peur qu’elles ne m’en révèlent trop ! - un article, donc, m’avait laissé croire que, s’inspirant librement de l’affaire DSK, Marc Weitzmann avait tracé le portrait d’un Rastignac contemporain se brûlant les ailes au contact d’une élite politique corrompue. Mais je croyais qu’il s’agissait d’une pure fiction, d’un texte qui transcendait la réalité pour y apporter un éclairage enrichissant, ce qui me semble être le propre de la littérature. Je ne m’attendais pas à voir les personnages d’Anne Sinclair et de son mari, entre autres, apparaître au sein du récit. Et très honnêtement, je ne trouve pas que tout ce qui a été révélé autour d’eux mérite qu’on y revienne. Insister sur une  personnalité telle que celle de DSK, c’est continuer à jeter le discrédit sur une classe politique qui n’a vraiment pas besoin de ça !
Par ailleurs, tous les personnages sont tellement froids et insensibles qu’à aucun moment je n’ai pu éprouver la moindre empathie avec qui ce soit. La bourgeoisie prétendument intellectuelle qui est présentée m’a personnellement semblé totalement dénuée d’intérêt. L’arrogance et le cynisme poussés à un tel degré provoquent plutôt chez moi l’envie de passer mon chemin...
Même la reconstitution d’une époque qui aurait pu me toucher, car étant celle de mon enfance, m’a laissée totalement froide.
Au final, rien qui ne m’ait ni convaincue ni séduite, et un livre que j’aurais bien du mal à recommander.

Heureusement, histoire de souffler, j’ai entrecoupé cette lecture de celle de La garçonnière, d’Hélène Grémillon... la critique bientôt sur votre blog préféré !





samedi 19 octobre 2013

L'autre côté des docks

Ivy Pochoda

Liana Levi, 2013


Traduit de l'américain par Adélaïde Pralon

☁ 


Le meilleur atout de ce roman réside sans doute dans sa jaquette particulièrement réussie, mais qui s'ouvre malheureusement sur un texte nettement moins convaincant. 



Autant il est facile de parler d’un roman qu’on a adoré ou d’un autre qu’on a détesté, autant il est difficile de commenter un livre qu’on a lu sans réel intérêt.

Je ne dirais pas que L’autre côté des docks est un mauvais roman : il n’est pas mal écrit, même s’il ne se distingue pas par la qualité de son style ; il y a des personnages  intéressants, mais qui ne sont pas suffisamment étoffés, et l’intrigue, assez sommaire,  n’est pas soutenue par une atmosphère qui se révélerait particulièrement envoûtante.

Bref, inutile de développer un long discours sur ce roman sans grande saveur qui aura tôt fait de s’effacer de ma mémoire. En espérant que le prochain livre sur ma pile en attente, Une matière inflammable, renouera avec la belle série initiée par Hugo Boris, Karine Tuil et Julie Bonnie !

dimanche 13 octobre 2013


Chambre 2

Julie Bonnie

Belfond 2013


Prix du Roman Fnac 2013

☀ 


Avec ce premier roman, Julie Bonnie délivre dans un style fulgurant une vision très personnelle de la maternité et, plus généralement, de la vie et de la société.


Au départ, je n’étais guère attirée par ce livre. Mais compte tenu de la masse de commentaires élogieux que l’on rencontre à son sujet sur la blogosphère et dans la presse, j’ai finalement voulu savoir de quoi il retournait.

D’abord, il s’agit d’un livre très personnel tant par le ton que par son sujet, qui touche au plus intime des femmes. L’auteur nous y parle de maternité, puisque son héroïne est à la fois auxiliaire de puériculture dans un hôpital et mère elle-même, et de la capacité qu’un individu peut avoir - ou pas - à entrer dans les cadres sociaux communément admis.  

Dans une première vie, Béatrice menait une existence libre et nomade : avec son compagnon violoniste et une petite troupe d’artistes, elle sillonnait les routes d’Europe pour se produire sur scène, où elle dansait nue. La naissance de ses enfants n’a en rien modifié la vie de cette communauté, jusqu’au jour où les contrats ont commencé à se faire plus rares et où Béatrice s’est vu rattrapée par la nécessité d’assurer le minimum vital.

Après une formation, elle a donc fini par enfiler une blouse rose pour se glisser dans la peau d’auxiliaire de puériculture et devenir ainsi «normale».  

Aux antipodes de ce qu’elle avait jusqu’alors connu, son existence devient routine. Le rythme et l’organisation du travail sont parfaitement délimités. Elle fait l’expérience de la hiérarchie. Elle est là pour tenir un rôle, et non se comporter en individu ressentant des émotions, ayant un point de vue sur les situations auxquelles elle est confrontée, ayant ou non des affinités avec les femmes qui viennent d’accoucher ou avec ses collègues.
Alors Béatrice se sent comprimée dans sa blouse trop étroite pour contenir ses sentiments, ses indignations ou tout simplement les réflexions qu’elle s’interdit d’exprimer, puisqu’on attend uniquement d’elle qu’elle relaye les directives de l’hôpital et qu’elle exécute les gestes qui relèvent de sa fonction.

Au détour des portraits qu’elle dresse des femmes dont elle est amenée à s’occuper et dont les corps sont meurtris par leur récent accouchement, c’est la douleur de cette expérience que l’auteur nous relate dans un style percutant qui tantôt arrache un rire amer, tantôt inspire un sentiment de compassion.

Les jeunes accouchées qui se succèdent dans le service où elle travaille lui tendent autant de miroirs l’invitant à réfléchir sur sa propre condition de femme et, plus largement, sur celle de toutes les femmes. Comment devient-on mère ? Que se passe-t-il dans le corps et dans la tête d’une femme qui va ou qui vient de mettre au monde un enfant ? 
Selon Béatrice, nulle n’est préparée à ce bouleversement. On fait croire aux femmes que devenir mère est facile, naturel, spontané, alors que Béatrice rencontre le plus souvent de la souffrance et de la peur : peur de ne pas savoir s’y prendre, difficulté à allaiter, et surtout, peur de perdre son enfant, car vouloir donner la vie c’est envisager la possibilité de la mort.

Ce livre peut déranger, voire provoquer le rejet, tant le mythe de la jeune mère heureuse et épanouie y est mis à mal. 
Pour ma part, je trouve que ce livre a le mérite de pulvériser l’injonction de bonheur que subit toute mère et ce, dans un style personnel et alerte. Le récit de cette femme en souffrance est assez poignant et certains de ses aspects peuvent sans doute trouver un écho dans ce que nombre d’entre nous vivent au quotidien.
Mais il s’agit néanmoins d’une expérience singulière, qui met quasi exclusivement l’accent sur la douleur, sans nuance. Il faut le prendre pour ce qu’il est : le témoignage d’une femme en souffrance, avant tout parce qu’elle s’est vue imposer une vie qui ne correspondait en rien à ses aspirations et qui a ravagé son équilibre personnel et sa cellule familiale.

Un livre intéressant et parfois émouvant, mais qui demande à être lu avec un certain recul. A ne pas mettre entre les mains d’une femme enceinte ou qui vient tout juste d’accoucher ! 








samedi 5 octobre 2013

L'invention de nos vies


Karine Tuil

Grasset 2013

☀ ☀  

Avec une écriture débordante de vitalité, Karine Tuil jette un regard sans concession sur notre société et signe un roman jouissif.


Passer de l’écriture finement ciselée d’Hugo Boris à celle foisonnante et échevelée de Karine Tuil, on peut dire que c’est faire l’expérience de deux univers radicalement différents, voire de changer carrément d'unité spacio-temporelle ! Mais c’est précisément cela que j’aime en littérature : passer sans transition d’une histoire, d’un style, d’un genre à un autre... et ressentir un égal bonheur.

J’avoue que j’étais assez intriguée par L’invention de nos vies. J’en avais lu quelques courts passages en l’ouvrant au hasard en librairie, et j’avais été plutôt séduite. Ne connaissant pour ainsi dire rien de son auteur et au vu du sujet, je redoutais néanmoins de découvrir sous couvert de roman une verbeuse démonstration à caractère politico-social. 

La lecture des premières pages m’a favorablement surprise.
Là où je craignais de trouver un texte brouillon, j’ai découvert des personnages bien campés et une intrigue solidement maîtrisée. Et malgré quelques pages qui gagneraient à être un peu plus dans la nuance et moins dans la démonstration, j’ai dévoré ce livre comme je l’aurais fait d’un roman policier.

De quoi Karine Tuil nous parle-t-elle ? La réponse est simple : de déterminismes sociaux.   Comment trouver une place dans la société lorsqu’on est issu d’une minorité ethnique ou d’une banlieue défavorisée, voire les deux à la fois.

Pour l’un des trois héros de son roman, la réponse est claire : pour «réussir», il faut cacher ses origines. Samir Tahar, en dépit d’un admirable parcours universitaire, n’est parvenu à décrocher aucun entretien d’embauche, jusqu’au jour où il décide d’escamoter son nom en retirant tout simplement les deux lettres finales de son prénom : désormais il ne s’appellera plus Samir, mais Sam. 
A partir de ce moment, sa vie va changer. Derrière ce prénom court et si simple, chacun met ce qu’il veut. C’est ainsi que, pris pour un juif - Sam pouvant être le diminutif de Samuel - il va taire son identité, emprunter celle d’un homme qui fut autrefois son ami, et tourner le dos à sa famille et à sa vie passée.

Par ce mensonge par omission - il se garde d’affirmer quoi que ce soit, mais prend bien soin de ne pas détromper ses interlocuteurs - il parvient à se hisser au sommet de l’échelle sociale. Il mène aux Etats-Unis une brillante carrière d’avocat qui lui permet d’épouser la fille de l’une des plus grosses fortunes du pays, intégrant ainsi définitivement la communauté juive américaine.
Sans vouloir révéler le dénouement, on peut toutefois dire que ce mensonge qui le mène au firmament sera aussi la cause de sa chute vertigineuse. 

Le propos est à bien des égards assez caricatural. D’autant que l’on n'échappe pas à d’autres clichés : l’ami auquel Samir emprunte son histoire s’appelle Samuel Baron. Etudiants, ils ont été amoureux de la même femme, la sublime Nina, qui n’a choisi Samuel que par faiblesse, parce qu’il menaçait de se suicider. Or, Samuel se rêve écrivain. Mais ses manuscrits sont invariablement refusés par les éditeurs, au point qu’il finit par renoncer à envoyer ses textes, puis à écrire. Ce n’est que lorsque Nina le quitte que la douleur qu’il en ressent lui permet à nouveau d’écrire pour, enfin, connaître le succès.
Le fameux mythe de la souffrance, implacable muse du créateur...

Malgré ces défauts, Karine Tuil réussit un livre brillant.
Son talent réside dans sa capacité à construire une intrigue d’une impeccable efficacité en articulant les destins individuels avec le contexte socio-historique. Les personnages sont rattrapés par des événements qui les dépassent et qui les ramènent inexorablement vers leurs origines.

L’auteur semble nous dire qu’il est vain et destructeur de vouloir échapper à ce que l’on est. Il serait plus opportun de s’émanciper de la pression sociale, de la nécessité de réussir et du désir effréné de reconnaissance pour trouver le bonheur.

On peut penser ce que l’on veut de ce message. Il n’en reste pas moins que Karine Tuil pose un regard pertinent et cru sur notre société, et signe un roman personnel et haletant qu’elle maîtrise de bout en bout.






mercredi 25 septembre 2013

Trois grands fauves


Hugo Boris
Belfond 2013


A travers le portait de trois icônes, Hugo Boris fait montre d’une écriture aussi subtile et précise qu’élégante et maîtrisée.


Combien d’étoiles décerner à ce livre, 2 ou 3 ? Très belle découverte ou livre franchement exceptionnel à ne laisser passer sous aucun prétexte ? J’avoue que j’ai longuement hésité et, en dépit de mes légères réserves, je veux insister sur ses qualités! 

C’est qu’avec ces Trois grands fauves, j’ai découvert un auteur. Au-delà de ce qui est relaté, c’est une écriture qui m’a envoutée. Belle, précise, alerte.
Trois grands fauves est le portrait en triptyque de trois monstres sacrés : Danton, Hugo, Churchill.
Le propos n’est pas pour Hugo Boris de rédiger la biographie exhaustive de ces personnages.  L’idée est plutôt de les saisir à divers moments de leur existence. Comme le ferait un artiste avec son crayon, il parvient en quelques traits à les faire tour à tour apparaître. Ses mots sont choisis avec une telle précision, ses phrases si excellemment tournées que le modèle surgit et prend instantanément vie sous nos yeux.
Ce que Boris cherche à traduire, pour chacun des trois grands hommes, c’est leur incroyable vitalité, la puissance qui se dégage d’eux, leur pouvoir d’attraction. Et il y parvient à merveille... du moins  en ce qui concerne Danton et Hugo. J’ai pour ma part trouvé les pages consacrées à Churchill un peu moins éblouissantes.

Est-ce parce qu’en tant que Française, je connais beaucoup mieux les deux premiers, qu’ils appartiennent à mon patrimoine culturel, que je ressens à ce titre une certaine proximité avec eux, ce qui n’est guère le cas avec Churchill ? Ou peut-être ce jeu de proximité et de distance a-t-il joué chez Boris lui-même, affectant ainsi son écriture ?
Car celle-ci est différente dans ce troisième portrait. Cela se ressent dans le rythme même des chapitres. Là où ils étaient courts, fragmentés et très elliptiques pour Danton et Hugo, ils ont tendance à s’allonger pour Churchill. Là où l’auteur offrait une rapidité d’exécution pour donner des instantanés, il se dilue davantage, développe de longs dialogues pour rendre compte de discussions entières. L’ensemble est nettement moins nerveux. Pour poursuivre la comparaison, je dirais que le croquis pris sur le vif cède le pas à un tableau non pas plus travaillé - car économie de moyen et sobriété ne signifient pas absence de soin - mais plus détaillé, plus léché. Et il me semble alors que la force d’évocation faiblit légèrement.

Mais je ne voudrais vraiment pas terminer sur une note plus faible, tant j’ai adoré ce livre ! Lisez-le, ne serait-ce que pour saisir de quel bois était faite l’éloquence de ce Danton aux traits pourtant bien rebutants ! Lisez-le pour comprendre comment le génie d’Hugo s’est nourri de tout ce qui l’entourait pour rejaillir dans son admirable écriture ! 
Je veux vraiment souligner la qualité littéraire de cette oeuvre. Une chose est sûre : je vais lire les précédents romans de cet auteur pour me replonger avec délices dans cette langue magnifique.


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samedi 21 septembre 2013

Esprit d’hiver

Laura Kasischke

Christian Bourgois 2013


Traduit de l'américain par Aurélie Tronchet

Grand prix des Lectrices de Elle 2014

☀ 


Avec un talent certain, Laura Kasischke dépeint un foyer où règne une atmosphère chargée de tension et de mystère.


Pas facile de faire la critique de ce roman vers lequel je ne me serais pas spontanément dirigée.
L’envie de le lire m’est venue en découvrant les nombreux éloges qui en étaient faits. J’étais en revanche très peu attirée par la veine intimiste dans laquelle il s’inscrivait : une femme se retrouve seule chez elle avec sa fille le jour de Noël et leur relation va, semble-t-il, basculer.
J’avoue que je suis assez peu sensible à ce type d’univers en huis-clos. Je préfère de loin les récits offrant une ouverture sur le monde, apportant un éclairage sur un événement historique ou sur la société.

Mettant mes a priori de côté, je me suis donc placée en observatrice de ce duo mère-fille. D’emblée, on sent une étrangeté, quelque chose d’un peu troublant entre ces deux personnages, que l’on met sur le compte à la fois de la période dans laquelle est en train d’entrer Tatiana, 15 ans, qui cherche tout naturellement à s’émanciper de sa famille, et en particulier de sa mère, qui entretient avec elle une relation exclusive; mais aussi sur le compte d’Holly, dont on découvre qu’atteinte d’une maladie génétique qui a décimé tous les membres féminins de sa famille, elle a fait l’objet d’une ablation des ovaires, la privant de la possibilité de procréer. Tatiana est donc une enfant adoptée, et l’on apprend peu à peu quelles ont été les conditions de son adoption, au fin fond de la Sibérie. Là se situe même l’épicentre de la tension psychologique qui se noue entre les deux femmes. Holly sent confusément que quelque chose s’est alors passé, qui aurait modelé leur relation. Quelque chose qu’elle ne parvient pas à formuler, qu’elle aurait repoussé aux confins de sa conscience.

Sans avoir été réellement captivée par le récit des événements, je suis toutefois entrée très facilement dans ce texte que j’ai lu avec un certain intérêt. Je me suis peu à peu laissé prendre par cette atmosphère ouatée, de plus en plus en plus oppressante à mesure que le roman avance. Dans la dernière partie du livre, le climat devient même inquiétant, et c’est avec un trouble certain que l’on atteint le dénouement, qui jette de manière fulgurante un éclairage nouveau et saisissant sur l’ensemble du récit.
Alors je n’irai pas jusqu’à suggérer, comme François Busnel dont les propos sont cités en quatrième de couverture, que Laura Kasischke serait «le grand écrivain contemporain», mais il est certain que cet auteur maîtrise absolument l’art de peindre le malaise tapi au fond d’un individu et le combat intérieur auquel celui-ci peut se livrer pour tenter de dompter ses démons. A ce titre, la lecture d’Esprit d’hiver vaut en effet la peine.